Non, ceci n’est pas une ode à Michel Sardou. Aujourd’hui, je vous parle de la femme d’expat. Celle qui véhicule tant de préjugés, celle qui est dénigrée, celle qui n’est plus qu’une « femme de ». Aujourd’hui, je vais vous ouvrir mon cœur et vous parler de mon quotidien. De ce que je peux ressentir. Et de ce que beaucoup, beaucoup de femmes d’expat ressentent…
Il ne s’agit pas ici de chercher votre compassion. Absolument pas. Je suis heureuse de cette expatriation. Je suis heureuse de cette expérience. Mais je tiens pourtant à vous montrer le revers de la médaille. Celui dont peu de femmes d’expat parlent, parce que « hey, de quoi tu te plains ? »
Car derrière l’image lisse et paradisiaque de la famille expatriée qui expérimente la grande vie, aidée de moult nounous, chauffeurs, cuisiniers, femmes de ménage et j’en passe, se cache une autre réalité.
Celle d’une femme qui a accepté de tout quitter, non pas pour suivre son mari, mais bien plus pour l’accompagner dans son développement professionnel. Oui, j’ai bien dit « accepté » et « accompagner ». Il ne s’agit pas, du moins dans le cas que je présente ici, d’une expatriation forcée mais bien plus d’une décision commune. Ce qui n’enlève rien à la complexité de la situation de la « femme de ».
Perte d’identité
C’est à dessein que je parle de « femme de ». Car lorsqu’une femme accompagne son mari dans son aventure professionnelle, elle perd une partie de son identité. Il semblerait qu’elle ne soit plus qu’un appendice marital.
Combien de fois m’a-t-on demandé, avant même de s’enquérir de mon prénom, « tu es la femme de qui? » Suivi de « et il travaille où ton mari? » Puis, suite logique de ce qui précède, l’introduction auprès d’autres personnes: « je te présente la femme de Cédric ».
Ah ben merde! J’ai plus de nom!
Mais alors, qui suis-je ?
Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’une perte d’identité. Il s’agit d’une perte d’une partie de ce qui nous constitue intrinsèquement. A Genève, j’étais une romancière à la carrière prometteuse, qui courrait d’une lecture publique, à une interview radio en passant par le vernissage d’une amie peintre. Je jonglais entre mes enfants, mes livres, ma famille, mes amis et mon activité d’assistante en communication.
On me demandait comment je trouvais le temps de tout faire. Ici et maintenant, on me demande « tu occupes comment tes journées ? » Véridique.
Mais alors, j’occupe comment mes journées ?
Bonne question, n’est-ce pas? Alors que j’avais à peine le temps de tout faire il y a de cela quelques mois, aujourd’hui on s’inquiète de me savoir désœuvrée. Ce que je ne suis pas, je vous rassure. Je tiens ce blog, je m’apprête à sortir une nouvelle, j’ai un nouveau projet littéraire en tête. Mais la perspective change. Le regard des autres aussi. Comme si à l’ambition s’était substituée la futilité d’activités vaines… Je passe le temps, en d’autres termes.
Je vous avoue que ce changement d’optique a été très difficile à vivre pour moi. Prise de vertiges, je ressentais le temps que j’avais à disposition comme une tare et l’absence de reconnaissance professionnelle comme une claque. Car oui, on peut être « femme de », aimer s’occuper de ses enfants, mais pourtant avoir de l’ambition.
Travaille !
Arrête tes bla bla et travaille alors! C’est ce que vous avez envie de me dire, n’est-ce pas? Laissez-moi simplement vous exposer ma situation: en Colombie, il est très difficile (voire impossible) pour une femme d’expat de trouver un travail. Même pro bono, c’est dire! En outre, si les procédures administratives n’étaient pas rédhibitoires, vous imaginez bien que les compétences rédactionnelles et communicationnelles d’un écrivain francophone ne sont pas particulièrement recherchées ici…
Seule
Voilà le constat difficile que va rapidement faire la « femme de ». Non contente d’avoir perdu son nom, son identité et la reconnaissance de la société à son égard, la femme d’expat va vite se rendre compte à quel point elle est seule. Les enfants vivent leur vie à l’école et se font des amis. Le mari va au travail et bénéficie de la communauté professionnelle qui l’entoure. Il mange avec ses collègues à midi, il va boire un verre pour fêter la réussite d’un dossier. Il partage.
La « femme de », quant à elle, se retrouve donc bien seule…
Se faire des amis
Comment faire pour sortir de cette solitude? Et bien malheureusement, il lui faudra coller aux préjugés véhiculés par le statut qui est dorénavant le sien. Rencontrer les mamans des camarades de classe. Participer à des rencontres de « femmes de ». Essayer de nouer des liens d’amitié.
Les personnes qui me connaissent savent à quel point je déteste ce genre de rencontres organisées. A quel point il me coûte de sortir de ma zone de confort et de me dire « allez, va leur parler ». En sachant que je ne saurai certainement pas quoi leur raconter tant nos vies, nos parcours, nos mondes diffèrent.
Heureusement, j’ai la chance d’avoir rencontré des personnes exceptionnelles ici. Sans même devoir jouer le jeu des rencontres organisées. Des connaissances qui sont devenues, rapidement, des amis chers. Des « femmes de » qui ont expérimentés les mêmes doutes, les mêmes déboires, les mêmes claques. Leur mari qui comprennent nos désillusions et nos coups de blues.
Empathie
Alors, mes chers lecteurs, la prochaine fois que vous croiserez la route d’une « femme de », je compte sur vous pour lui demander son nom. Pour lui demander ce qu’elle aime faire dans la vie. Pour vous rappeler que derrière l’excitation et les richesses apparentes de l’expatriation se cache une véritable personne qui peut, elle aussi, souffrir du regard de la société à son égard. Qui peut regretter sa vie d’avant. Qui peut se sentir seule. Quels que soient les voyages, les aventures et la chance qu’elle a de vivre une telle expérience.
ABE
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